Pourquoi réseauter entre communautés ?

Par Ugo Dutil


GEN = Global Ecovillage Network

FIC = Foundation for Intentional Communities

CIs = Communautés Intentionnelles


En ce moment, en 2025, il n’existe pas de réseau de communautés intentionnelles au Québec. Le réseautage actuel est informel. Des personnes vivant en communauté ou attirées par le mouvement se connaissent et se rencontrent dans divers événements. On se visite mutuellement. On essaie de s’inspirer les uns des autres même si chaque projet est unique.


S’il y a la Coopérative Oasis en France, le FIC aux États-Unis et la branche la plus active du GEN en Europe, aucune organisation ne tient le flambeau des communautés intentionnelles au Québec, pour l’instant. 


Pas faute d’avoir essayé.


Il y a déjà eu un réseau des écohameaux et des écovillages du Québec de 2003 à 2010, des rassemblements des personnes fondatrices d’éco-communautés du Québec dans les mêmes années, une journée des communautés intentionnelles à Montréal en 2018 et des immersions en éco-communauté entre 2017 et 2022.


À La Cité, on a déjà essayé de lancer un GEN Québec, mais avec seulement 3 ou 4 communautés établies qui s’identifient au terme « écovillage », ça ne fait pas un gros réseau.


Tout est à refaire. C’est un peu déprimant et laborieux, mais aussi extrêmement porteur de sens et excitant. 


Si on veut aller dans cette direction, il faut quand même se poser quelques questions importantes.


Récemment, j’ai discuté avec Laurence Beaudry qui a pour projet de lancer une entreprise (Transition) pour créer des liens entre les communautés intentionnelles du Québec (podcast : 24 ~ La Transition des Communautés du Québec). C’est un très beau projet qui pourrait matérialiser la prochaine version d’un réseau québécois.


Dans cet article, je souhaite réfléchir à la meilleure version de ce réseau. Je veux qu’il soit pertinent, efficace et inspirant, tout en durée dans le temps.


Réseau du Québec ou du Canada ?


Je ne vois pas vraiment d’intérêt à essayer de concrétiser un réseau canadien. Cela a déjà été tenté et a donné lieu à de beaux échecs. 


Le Québec et la Colombie-Britannique sont les terreaux les plus fertiles pour des groupes de gens écolos qui veulent collaborer à vivre ensemble, mais, géographiquement parlant, la 6e province du Canada est aussi loin de nous que l’Europe, ou presque. 


Si on veut se visiter, dans le concret, il faudrait prendre l’avion. Pas très écolo. Et rendu là, pourquoi ne pas prendre l’avion pour aller en France qui a développé l’un des plus forts réseaux du vivre-ensemble au cours de la dernière décennie ?


Si on veut penser global et agir local, le BC, c’est juste trop loin. 


Il y a quelques communautés intentionnelles en Ontario. Notamment Whole Village que j’ai visité à plusieurs reprises et quelques Cohabitats, mais les CIs de l’Ontario vont naturellement connecter avec le FIC.


Si on fait des démarches pour créer un réseau, je crois qu’il faudrait se concentrer uniquement sur le Québec.    


Écovillage, Cohabitat ou Communauté Intentionnelle ?


Depuis la publication du Répertoire des éco-communautés du Québec en 2010, on semble avoir mis de côté le terme « communauté intentionnelle » pour rassembler tous les milieux de vie collaboratifs sous le terme « éco-communauté ». Peut-être ne l’a-t-on jamais utilisé comme tel ?


Il y a beaucoup de confusion à savoir quels mots choisir pour définir sa propre communauté : collectif, écovillage, communauté intentionnelle, cohabitat, écohameau, cohabitation… j’ai déjà vu « colocation intentionnelle » aussi, etc. 


Ça serait quand même pertinent qu’on se choisisse un terme parapluie qui convient à tous. 


« Communauté intentionnelle » semble la meilleure option, mais ça pourrait aussi être « communauté alternative » ou « écolieu » ou « oasis de vie » (si on veut se rapprocher du lexique de la France). 


Ceci étant dit, c’est mon opinion qu’il n’y a pas assez d’écovillages pour faire un réseau uniquement d’écovillages. Il n’y a pas assez de cohabitats pour faire un réseau uniquement de cohabitats. Idem pour les écohameaux ou pour les communautés intentionnelles urbaines en collocation ou à partage de revenu.  


Si on est pour faire quoi que ce soit, il faut que ça inclue tous les types de communautés. Sinon, il n’y a pas assez de groupes. 


Et même avec tous les projets actuels. Il n’y a pas tant de communautés établies et stables que ça.


Si on fait des démarches pour créer un réseau, je crois qu’il faudrait qu’il soit pour l’ensemble des communautés intentionnelles du Québec. 


Il y a assez d’éléments semblables entre toutes les sortes de CIs pour y trouver de nombreux points communs : partage d’espace et de ressources, construction écologique, groupe d’achat, corvée collective, repas communs, prise de décision collaborative, etc.


Est-ce qu’on a assez de temps ?


Même si on arrive à mettre toutes ces CIs dans le même bateau de culture collaborative, il est très légitime de se demander si on a assez de monde et de ressources pour soutenir ce genre d’initiative.


Ça va surtout prendre du temps et des bénévoles qui ont l’élan naturel de contribuer sans avoir d’assurance que leur travail sera valorisé en argent.


Je ne pense pas que ça coûterait très cher de mettre une organisation en place (si on ne calcule pas le temps bénévole en argent). Ça serait surtout une question de temps.


Du temps que plusieurs habitants actuels de communautés n’ont pas, car celui-ci passe entièrement dans le maintien de ces communautés établies qui demandent un engagement constant.


Est-ce que des gens qui gravitent autour du mouvement ont le temps et l’élan de s’en occuper ? Est-ce qu’il y a assez de ces personnes merveilleuses ? 


Aux États-Unis, sur une population de 347 millions d’habitants, le FIC arrive à donner des salaires à mi-temps à 8 personnes pour qu’ils se chargent d’organiser le réseau. Il y a 9 millions d’habitants au Québec, si on fait le ratio, ça donne un mi-temps de 0,2 personne. Donc un dixième d’un salaire à temps plein.


Oui, oui, on est sûrement plus communautaire que les États-Uniens. On est plus orienté vers le social et plus enclin à créer des écovillages et des cohabitats en fonction de la population, mais, au pire, c’est un mi-temps d’une personne, peut-être un temps plein (max, max, max), qui pourrait être rémunéré.


Si on fait des démarches pour créer un réseau, je crois qu’il faudrait qu’il y ait assez de bénévoles qui ont assez de temps. 


Personnellement, je suis prêt à y mettre un peu de temps bénévole, mais, du temps, il en manque toujours et je dois faire preuve de discernement et de précaution pour décider dans quoi je m’engage.


Pourquoi réseauter ?


Est-ce qu’on a besoin d’un réseau pour créer des écovillages et cohabitat ? Non. Il s’en crée déjà sans réseau… même si ça aiderait probablement.


Pourquoi alors se donner la peine de se donner plus de travail d’organisation ? 


Ne sommes-nous pas mieux de garder un réseau informel qui ne prend pas de temps à organiser et qui laisse la responsabilité aux individus qui ont l’élan naturel de contribuer bénévolement à la hauteur du bienfait qu’ils en tirent ?


J’ai souvent imaginé que ce réseau serait un gros forum en ligne sur lequel on pourrait échanger des trucs pour vivre ensemble. 


« Ah, tiens, qu’est-ce que vous avez fait pour la question épineuse des animaux domestiques ? Et vous, qu’est-ce que vous avez mis en place comme structure de gouvernance collaborative ? Et la CNV, est-ce que ça marche vraiment ? Avez-vous moins de conflits grâce à ça ? »


En 2022, FIC a créé un forum qui ressemblait grandement à ce que je m’imaginais et j’étais content de le découvrir et d’y contribuer. Cependant, force est de constater qu’il n’y a pas vraiment de discussion au sujet de vivre ensemble. On publie surtout pour : 


→ trouver des gens pour créer une communauté, 

→ trouver des gens pour joindre une communauté 

→ trouver une communauté à joindre.


S’il y avait un désir de mettre en place cet échange, pas besoin de créer un réseau et un forum sur un site web dédié. 


Techniquement ça pourrait être un groupe facebook. Il y en a déjà une demi-douzaine qui finissent tous par donner le même résultat : pas beaucoup de partage au sujet de vivre ensemble et beaucoup de publications de vente de biens et de services. 


En réalité, peu de personnes partagent ma passion pour aborder la question du « vivre-ensemble » en tant qu’habitants d’une communauté intentionnelle plutôt qu’en tant que fondateurs. 


Soit les gens sont très intéressés par la théorie, car ils veulent fonder une communauté et n’ont pas vraiment d’expérience de vivre ensemble. Soit les gens ont de l’expérience, mais n’ont pas de temps ou d’intérêt à consacrer à la théorie.


Mon idéal de partage entre les CIs est personnel. Ça ne vaut pas la peine de créer un réseau pour ça.


Alors, pourquoi structurer ce réseau ?


Ça fait un petit bout que j’y réfléchis et j’y vois trois raisons concrètes :


1. Développer des liens entre tous les acteurs du mouvement


2. Jumeler individus et communautés


3. Inventer de l’inspiration


Développer des liens entre tous les acteurs du mouvement


Si on crée des occasions de rencontre entre des gens qui vivent dans différentes CIs, les gens en processus de créer des CIs, celles et ceux qui veulent en joindre et tous les gens intéressés à la question, ont fait des connexions qui n’auraient pas existé autrement.


Ces liens peuvent mener à de beaux échanges en tout genre, à de belles collaborations et potentiellement à une amélioration du vivre ensemble. 


Plus il y a de ces relations, plus on se connaît, plus on a déjà brisé la glace, plus ça peut mener à une entraide informelle précieuse. 


Ce n’est pas une technique nouvelle, on peut penser à des chambres de commerce qui organisent des événements pour créer des interactions entre différents entrepreneurs de la région pour augmenter des opportunités d’implanter des relations d’affaires entre eux. 


C’est la définition même de réseautage : constituer et entretenir des relations qui pourraient être utiles sur le plan professionnel. Dans notre cas, cela pourrait être utile pour développer et maintenir des CIs. Ce qui demande beaucoup de travail et créativité, tout comme créer et maintenir une entreprise. 


Je vois beaucoup de façon dont la constitution et le maintien de ces relations peuvent être bénéfiques et je ne vois pas vraiment comment ça pourrait être nuisible.


Jumeler individus et communautés


Durant sa série de webinaires « It takes community » qui marque son sociofinancement de fin d’année, le FIC a mis de l’avant un nouveau slogan : 


« People need community.

Communities need people.

People and communities meet at the FIC. »


Que je traduirais par : 


« Les gens ont besoin de vivre en communauté.

Les communautés ont besoin de gens.

Les gens et les communautés se rencontrent via le FIC. »


Je crois qu’après plusieurs décennies, cet organisme à finalement compris la fonction première de sa raison d’être en se positionnant comme l’acteur qui facilite de jumeler les individus avec les CIs. 


Sans devenir une appli de dating entre une CI et une personne, ce qui pourrait être très difficile à développer, le réseau peut offrir des outils et un point central de rencontre pour que les jumelages se fassent de façon naturelle. 


Dans toute communauté, il y a un roulement de personnel normal. Des gens quittent et ça prend de nouvelles personnes. S’il n’y a pas assez d’engagements à long terme et s’il n’y a pas assez de nouveaux membres, c’est une menace existentielle pour le groupe. C’est pourquoi les communautés ont besoin de nouveaux membres constamment.


À l’extrême, une communauté intentionnelle à partage de revenu comme Twin Oaks a un turnover de 25 %. Ce qui veut dire que le collectif d’environ cent membres voit environ 25 personnes quitter la communauté chaque année et que 25 nouveaux membres joignent. 


Ce n’est pas toutes les CIs qui ont un taux de roulement aussi élevé, mais ça met en perspective le besoin des CIs de constamment accueillir de nouveaux membres.


De l’autre côté, certains humains ont besoin d’explorer la vie en communauté. Que ce soit pour retrouver du sens à leur vie, évoluer en tant qu’humain, répondre à un besoin social ou retrouver espoir en l’humanité en imaginant des modes de vie alternatifs à l’individualisme, la compétition, la consommation, la domination et la fragmentation.


Si on arrive à faciliter ce jumelage, il répondrait à deux besoins existentiels en même temps. Ce serait, selon moi, la fonction principale de ce réseau et la meilleure raison d’y investir temps et argent.


Inventer de l’inspiration 


Quand je vois les rassemblements organisés par le GEN d’europe ou la coopérative Oasis en France, je suis immédiatement attiré vers cette énergie que je trouve hautement inspirante. Juste en regardant des vidéos de ces événements, j’ai la chair de poule et je sens une force créatrice incroyable.


C’est comme si ce genre d’événement me reconnecte à un idéal qui se fait éroder par le quotidien et la réalité de vivre ensemble. Soudainement, tout devient possible. Même si ça fait 12 ans que je constate que c’est très difficile et peu probable. Ça remet à zéro bien des compteurs et permet un nouveau départ.


C’est un équilibre que je dois garder entre idéal et réalité. Personnellement, j’ai souvent tendance à pencher vers la réalité, vers le pragmatique pour éviter les pièges de la pensée magique des idéaux. Et je finis par être déséquilibré. Ce genre d’événement me redonne de l’énergie, du sens et du plaisir à relever les défis de la vie collective.

   


Intention et pérennisation


Si on fait des démarches pour créer un réseau, je crois qu’il faut, dès le départ, avoir une intention et une réflexion à savoir comment est-ce qu’on vise que ça dure à travers le temps ?


J’ai vu beaucoup de gens se brûler dans le mouvement des communautés intentionnelles. 


Quand on commence à s’intéresser au vivre-ensemble, on arrive avec une énergie immense puisée dans un idéal inspirant. On donne beaucoup parce que ça nous nourrit beaucoup aussi. C’est tellement porteur de sens et ça nous aligne sur des défis qui sont très satisfaisants à relever, car ils sont en cohérence avec nos valeurs de durabilité environnementale et d’équité sociale.


Par contre, avec le temps, l’idéal est confronté à la réalité et plusieurs se désillusionnent, perdant ainsi de leur motivation. 


Il n’y a pas que la désillusion qui mène à la perte d’engagement. Il y a pire. J’appelle ça le burn-out écocommunautaire. Ce n’est pas simplement un épuisement physique. C’est un épuisement émotionnel qui nous guette tous si on ne trouve pas une solution pour faire évoluer certaines mémoires émotionnelles qui s’accumulent toujours.


Si on fait ce réseau, il faut avoir l’intention de ne pas se brûler afin que ça dure à travers le temps.


Au final je crois qu’on veut réseauter entre communautés intentionnelles pour les mêmes raisons que les individus s’associent pour fonder des communautés. On ne veut pas se sentir seul. On veut travailler pour quelque chose de plus quand que soi qui est porteur de sens. 


Mais il faut le faire avec intention, précaution et discernement.


Ugo Dutil co-anime le podcast Histoires D’ÉcoCommunautés et crée des vidéos en lien avec le vivre ensemble sur sa chaîne YouTube. Il est membre résident de l’écovillage La Cité Écologique depuis 2013 et y a aussi passé 8 ans de son enfance.